Alors que le quinquennat s’achève et que le bilan social risque d’être au cœur des débats électoraux à venir, le cabinet Vatier s’est livré, le 19 novembre à l’occasion de la 1ère édition des « 8/10 » du cabinet (cycle de petits déjeuners de décryptage) à une revue d’analyse des réformes du droit social amorcées par le Gouvernement confrontées à la pratique quotidienne du cabinet et à la réalité des demandes des entreprises au 1er rang desquels le dialogue social « nouvelle manière ».
En 2017, la « refonte du dialogue social » était au cœur des ambitions du candidat Emmanuel Macron qui proposait, dans le cadre de principes définis par la loi, que les règles qui régissent le quotidien des salariés soient « fixées au plus près de là où ils travaillent, dans l’entreprise ». Où en est cette aspiration aujourd’hui ?
Une crispation latente autour de la fusion des instances représentatives du personnel.
Symboles de la volonté du Président de la République de refaçonner le dialogue social, les ordonnances Macron sont venues fusionner les instances représentatives du personnel (IRP) au sein du comité social et économique (CSE) et déplacer le centre de gravité du dialogue social, de la loi ou la branche vers l’entreprise.
Du coté des employeurs, c’est une réussite, le dialogue social est perçu comme plus simple et davantage fluide. L’objectif de la simplification du dialogue social dans les entreprises a été atteint avec un poids plus important donné aux accords majoritaires, et aux ruptures conventionnelles collectives.
Pour autant, « cette fusion des IRP a réduit considérablement les moyens de la représentation du personnel. La centralisation du dialogue social, laisse une place marginale aux représentants de proximité. Cette centralisation peut être contre-productive pour les entreprises de plus de 50 salariés lorsque le CSE en vient à traiter des affaires peu importantes qui revenaient auparavant aux échelons locaux ou aux anciens DP », explique Delphine Ricard, avocat associée au sein du cabinet Vatier.
De plus, le fait que les employeurs se saisissent des dispositions supplétives en cas de non-négociation est une grande source de frustration pour les organisations syndicales.
A ce titre, le renouvellement des CSE en 2022, pourrait engendrer des tensions importantes mais aussi être vu par les partenaires sociaux comme un levier pour redéfinir les contours de cette nouvelle institution.
Une inversion de la hiérarchie des normes, en pratique encore trop complexe à appréhender pour les PME
L’objectif de ce changement dans la hiérarchie des normes était de laisser davantage de marge de manœuvre dans la négociation au niveau de l’entreprise, pour que celle-ci s’adapte le plus efficacement possible aux contraintes de son environnement.
Si cette innovation juridique, dessinée depuis plusieurs décennies, permettait en théorie aux entreprises de prévoir des dispositifs spécifiques à leurs activités, dans la pratique « peu d’entre elles se sont saisies de ce nouveau droit. Elles ont préféré s’appuyer sur les accords de branche et le code du travail plutôt que de rajouter une norme supplémentaire ». C’est particulièrement le cas des PME et des TPE qui « ne maitrisent pas encore cette densité normative » détaille Delphine Ricard.
Néanmoins, le cabinet Vatier constate qu’avec la crise sanitaire, les entreprises, notamment les PME et TPE, ont davantage utilisé les outils mis en place par les réformes du droit social. « La crise sanitaire été un catalyseur, en donnant aux entreprises l’occasion de recourir à ce mode dérogatoire pour négocier leurs propres sujets comme sur le télétravail, par exemple » insiste Delphine Ricard.
Une tentative de simplification des normes grâce au droit souple
Le fait majeur du quinquennat Macron c’est « l’émergence d’un droit souple » explique Delphine Ricard. Car, avec la crise sanitaire, les documents à la valeur juridique à priori non contraignante (guides-métiers, préconisations, protocoles sanitaire etc…), ont supplanté les textes législatifs.
Ce mode d’action présente plusieurs avantages. Ce type d’acte est plus simple et moins contraignant qu’un texte législatif, tout en gardant son efficacité : un acte de droit souple peut s’avérer tout aussi contraignant, en pratique, car il s’agit de « préconisations aux employeurs qu’ils doivent prendre en considération au risque sinon de voir leur responsabilité engagée »
Pour autant, le droit souple n’empêche pas le développement du contentieux. Ainsi, plusieurs pratiques professionnelles héritées de la crise sanitaire et de ces textes de « soft law » vont inévitablement connaitre une recrudescence de contentieux, à commencer par le télétravail où une accélération des contentieux est à craindre, notamment vis-à-vis de la surveillance des salariés, des frais engendrés par le télétravail et la prévention des risques psychosociaux.
Plusieurs autres réformes emblématiques du quinquennat Macron
- L’instauration d’un barème prud’hommal
Le cabinet Vatier constate un respect du barème en contentieux prud’hommal. Les cas où les juges accordent une indemnité ne correspondant pas au barème sont plutôt rares (même si des exceptions subsistent pour répondre à des cas exceptionnels et spécifiques).
Du coté des avocats des salariés, le syndicat des avocats de France reprend systématiquement le même schéma argumentatif pour contester automatiquement le barème, sans toujours réussir à démontrer un réel préjudice distinct. En outre, pour passer outre les barèmes, les avocats des salariés ont désormais tendance à qualifier les demandes en cas de harcèlement et à insister sur les obligations de sécurité, de formation, de travail pendant l’activité partielle.
- La réforme de la formation professionnelle
Concernant la réforme du Compte Personnel de Formation dont l’objectif était de déplacer la responsabilité de la formation de l’entreprise vers le salarié, le cabinet Vatier remarque que la monétisation du CPF a doublé l’offre de formation et a facilité l’accès à ces dernières. Le développement des formations s’accompagne d’un marketing agressif qui nuit aux salariés.
- La rupture conventionnelle collective
En favorisant le recours à la rupture conventionnelle collective, la volonté du Gouvernement était d’inciter les entreprises à avoir recours au dispositif pour anticiper les difficultés financières. Dans la pratique, la rupture conventionnelle reste largement utilisée pour faire face à une difficulté déjà présente.
Néanmoins, cette pratique reste rare puisque seulement 164 accords de rupture conventionnelle collective ont été signés en France depuis sa création jusqu’en mars 2020.