La guerre des masques a bien eu lieu, et les Français découvrent ébahi qu’un produit qui était jusqu’ici réservé aux premières lignes, aux soignants, serait désormais disponible dans leur supermarché, pas en rayon, mais aux caisses entre le programme TV et les chewing-gum.
Pire, les masques chirurgicaux, dispositifs médicaux sont devenus des produits d’appel et de promotion des distributeurs. Unis comme jamais ces grands acteurs, ont placé ce passeport du déconfinement sur le seul terrain qu’ils connaissent : le volume et le prix, et ont lancé depuis le début de la semaine le grand manège de la communication.
Comment le gouvernement a-t-il pu à ce point manquer de discernement et prêter main forte aux acteurs de la distribution alimentaire, utilement coalisés.
Retour en arrière.
Le 3 mars, le ministère de la santé, découvrant qu’il est nu, décrète que les masques chirurgicaux, (masques à 3 plis, en tissus et à usage unique) sont interdits à la vente en pharmacie et que tous les stocks existants sur le territoire doivent être réquisitionnés.
Les pharmacies intimées de rester ouverte, auront pour mission de délivrer gratuitement et au compte-goutte les précieux masques aux praticiens de ville que sont les médecins, infirmiers etc. Les malades disposant d’une ordonnance étaient renvoyés chez eux, bredouille, les pharmaciens risquant 10.000 euros d’amende s’il osaient remettre un masque à un de ses patients à haut risque. Le 23 mars, le gouvernement lève l’embargo sur les importations de masques, permettant de fait à tous les acteurs de la distribution d’en vendre, sauf les pharmaciens toujours sous le coup de l’arrêté du 3 mars. Dès lors, nous sommes assaillis de demandes. Les Français ne comprennent pas notre refus obstiné d’en vendre, comme d’en donner. L’autorisation est arrivée le 29 avril, soit 9 semaines plus tard, donnant plus qu’une longueur d’avance à la grande distribution pour s’approvisionner au meilleur coût et pouvoir parler prix.
Du jour au lendemain on apprend par médias et publicité associés que ces acteurs seront en mesure dès lundi 4 mai, de proposer aux Français pas loin de 500 millions d’unités, quand il y a quelques jours encore, les pharmaciens ne pouvaient en donner que 10 par semaine aux médecins ! Alors que l’État affirmait encore réquisitionner toute importation au-dessus de 5 millions de masques par trimestre. Cherchez l’erreur.
Choquant, pour les Français qui dans leur sagesse déclarent à l’Ifop (*) ne faire confiance qu’à 9% à la grande distribution pour vendre des masques !
Stupeur, pour nous autres acteurs de santé, lorsqu’on apprend que ces masques seront vendus aux caisses et qu’ils seront proposés reconditionnés par lot de 2, 5 ou 10 pour être abordables ! Où et dans quelles conditions d’hygiène ce reconditionnement sera-t-il fait ? Quels personnels en seront chargés avec quelle expérience de la manipulation d’objets stériles ? Où seront-ils stockés en attendant la mise en rayon, entre 2 palettes de pâté pour chien ?
Cheval de Troie
Ce ne serait pas si grave sur le long terme, si le but recherché dans cette affaire était de faire plier le gouvernement pour autoriser enfin, la vente de médicaments dans les supermarchés !
D’un point de vue économique, le covid-19 aura été l’occasion pour la distribution alimentaire, de faire sauter le dernier obstacle, pour enfin vendre des produits de santé en supermarché! Depuis de longues années, cette bataille se joue en coulisses avec des avis changeant des autorités…
A la fin, il ne faudra pas s’étonner de retrouver le Doliprane offert pour l’achat de 2 bidons de lessive !
Est-ce cela le remerciement du dévouement des pharmaciens et de leurs équipes qui sont restés exposés tout au long du confinement pour délivrer les médicaments aux Français qui redoutaient de se rendre qui chez le médecin ou à l’hôpital ?
Est-ce la gratitude qu’on attendait de notre tutelle, le ministère de la santé, pour ces petites entreprises que sont les pharmacies restées ouvertes dans des centres commerciaux ou des rues commerçantes désertés ?
Est-ce la juste rétribution de la défense de la santé de tous ouverts le prix à payer de cet engagement pendant la crise ?
Est-ce cela le monde d’après qu’on espère, celui du règne de quelques acteurs mondiaux de distribution qui auront asséchés les petits commerces restés fermés ou asphyxiés par le confinement, et qui pourront tenir la dragée haute aux producteurs avec pour seule boussole, le volume et le prix !
(*) Sondage Ifop pour le groupement Pharmabest à paraitre lundi 4 mai « les Français et la distribution des masques ».