30 avril 2015 Marie-Céline Terré

ADILEMA – AFP – Aristophil: derrière Proust et Mozart, le spectre de Madoff

29 Avril 2015 –

Gérard Lhéritier, fondateur de la société Aristophil en 2003 pose le 2 avril 2014 devant une vitrine exposant « Les 120 jours de Sodome » du Marquis de Sade – Martin Bureau AFP

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© 2015 AFP

Ils ont investi dans du Proust ou du Mozart et croyaient faire un placement aussi original que lucratif, mais aujourd’hui des épargnants lésés se lancent dans la bataille judiciaire Aristophil, société que la justice soupçonne d’être au coeur d’une escroquerie à la Madoff.

En attente du retour de leurs investissements, certains commençaient à s’interroger. Les perquisitions, les saisies d’avoirs bancaires et de biens immobiliers en novembre, suivies des mises en examen en mars de Gérard Lhéritier, médiatique patron d’Aristophil, de sa fille, de l’expert-comptable de la société de placement et d’un marchand d’art ont sonné l’alarme.

La justice soupçonne le +pape des manuscrits+ Gérard Lhéritier d’avoir créé un système pyramidal de cavalerie de type Ponzi, rendu célèbre par l’affaire Madoff, selon lequel les investissements des +entrants+ dans le dispositif financent les intérêts des +sortants+.

«Analogie facile», balaie l’avocat de Gérard Lhéritier, Me Francis Triboulet: «Madoff et Ponzi vendaient du vent, des promesses. Aristophil vendait des livres, des manuscrits authentiques».

Des correspondances de Zola, de Gaulle ou Joséphine de Beauharnais, des partitions de Mozart, une édition originale d’«A la recherche du temps perdu» de Proust…

Depuis 2003, Gérard Lhéritier proposait aux épargnants de devenir propriétaires -en pleine propriété ou en indivision- de manuscrits, que sa société Aristophil pouvait racheter au bout de cinq ans, avec un prix majoré de 8,5%. Ces intérêts devaient être assurés par la prise de valeur des pièces sur un marché annoncé en pleine expansion et par la location de ces documents à d’autres musées.

Au total, 18.000 personnes ont souscrit, pour un montant estimé à 850 millions d’euros.

Aujourd’hui, plusieurs centaines d’entre elles -artisans, commerçants, gendarmes, retraités- se regroupent en associations pour déclarer avant le 10 mai leurs créances dans ce qui pourrait être «une des plus grosses affaires financières en France des dernières décennies», selon Xavier Deroche, président de l’Association de défense des investisseurs en lettres et manuscrits (Adilema).

 

– Epargne atypique –

 

«Les gens se disaient +J’ai quelque chose de consistant, ce n’est pas un produit financier volatile. Je possède une partie du Petit Prince, d’une formule d’Einstein, de Raymond Queneau… Je participe au patrimoine et je peux les voir dans un musée+» (le musée des Lettres et manuscrits à Paris, créé par Gérard Lhéritier), souligne M. Deroche.

Sa mère et son beau-père ont investi en sept ans 1,8 million d’euros, le fruit notamment de la revente des fonds de commerce de son beau-père, coiffeur durant 45 ans.

«On leur a promis un rendement entre 8% et 9%, on leur a assuré que c’était sans risques et que, quoi qu’il arrive, on leur rachèterait les documents», explique M. Deroche, qui en veut aussi aux gestionnaires de patrimoine qui leur ont vendu ces placements.

«Normalement, ce sont des produits de diversification. Or, des courtiers proposaient aux gens de placer 80% ou 100% de leur argent. Il y a au moins négligence, si ce n’est mensonge par omission», confirme Franck, un Vosgien dont la mère et le beau-père ont placé 120.000 euros dans diverses lettres autographes de Verlaine, Magritte, Miro…

«On voulait placer 50.000 euros. Les courtiers nous ont dit: +C’est une affaire tellement sûre que vous pouvez placer 100.000+. On a dit qu’on pouvait monter jusqu’à 80.000 euros», raconte de son côté Jaya Malkani, un commercial de Saint-Etienne qui a investi dans une indivision Mozart.

«Ces contrats ne sont pas intrinsèquement frauduleux», estime Me Triboulet, et «l’information judiciaire devra notamment déterminer quelle a été l’information transmise aux investisseurs».

Dans ses contrats, «la société se réservait la possibilité de racheter ce qu’elle avait vendu, ce n’était pas une obligation. Dans la pratique, elle rachetait parce qu’elle estimait que c’était une bonne opération», détaille l’avocat, pour qui la justice a créé elle-même, avec perquisitions et procédures, «une panique» face à «un système économique inédit».

«On a dit: +C’est une bulle, il faut la faire exploser+ alors qu’il n’y avait aucun plaignant. La société connaissait certes une difficulté de trésorerie mais les dirigeants abondaient ses comptes. On pouvait poser des questions sur l’avenir de cette société, la nécessité de revoir sa stratégie, mais pourquoi un traitement aussi brutal ?»

 

– Honte et colère-

 

Les épargnants redoutent aussi d’avoir acheté leurs documents à un prix bien plus élevé que leur valeur réelle.

Tous partagent un même sentiment: «la honte de s’être fait avoir».

«J’étais assistante sociale et durant ma carrière, j’ai vu beaucoup de gens se faire abuser. Je n’aurais jamais dû me faire avoir», soupire une retraitée bretonne qui a investi 40.000 euros dans une indivision Proust.

A l’Adilema, elle découvre des «situations pires que la (s)ienne»: «Il y a des gens qui préparaient leur retraite, qui voulaient payer les soins d’un parent malade…»

Selon l’association, une personne s’est suicidée. D’autres n’en dorment plus. «Si je ne prends pas de Lexomil, je me réveille la nuit en pensant à Aristophil», raconte Nathalie, 65 ans, qui a investi 100.000 euros fin 2012.

«J’ai gagné à peine plus que le Smic toute ma vie», raconte cette ancienne couturière dans une grande maison de luxe. «J’avais 100.000 euros de la vente de mon appartement et je voulais en profiter un peu chaque année pour me gâter, faire un voyage… Aujourd’hui, il me reste 6.000 euros».

«On n’a plus d’épargne, et ma femme a perdu son emploi il y a trois mois. On ne pouvait pas imaginer tout ça», ajoute M. Malkani. Comme tous, il sait que la bataille s’annonce laborieuse: «On ne sait pas si on récupèrera quelque chose. Ni quand».

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